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Face Nord des Grandes Jorasses : Le Linceul

18 Sep 2014 / 4 Comments / in Sans catégorie

La face nord des Grandes Jorasses, « une magnifique et gigantesque muraille, l’une des plus belles et des plus sévères des Alpes, est aussi l’une des plus célèbres » (Labande).  Avec 1200m vertical de paroi et un degré moyen d’inclinaison de 70°, cette face chargée d’histoire est l’une des plus significative dans la mémoire collective. A force de lire sur elle, d’en entendre parler et de s’imaginer la gravir, une aura mystique se créée autour de cette face austère. C’est donc l’esprit chargé de cet héritage que nous montons dans le train en direction du Montenvers (vendredi 17h00) pour arriver bien bien transpirants au refuge.

Faut dire qu’avec Jean, nous avons un rapport très particulier pour les marches d’approche. Sans être explicitement une course,  on est toujours implicitement en train de se tirer la bourre dans les moraines et les sentiers qui mènent aux pieds des voies. En fonction de la forme des bonhommes, le lièvre -celui qui est devant- change. Pour le coup, ce fut Jean qui me tira psychologiquement jusqu’aux échelles sous le refuge de Leschaux.

Comme prévu, le refuge est plein à craquer  ! Faut pas se leurrer, vues les conditions dans la face et la météo annoncées, les hordes (sanguinaires ?) d’alpinistes attirées par cette face d’exception se sont données rendez vous. Entre ceux qui bivouaquent dans la face, ceux qui bivouaquent au pied de la paroi, ceux qui bivouaquent à coté du refuge et ceux qui dorment au refuge, une estimation sommaire du PGHM et de la gardienne prévoit entre 50 et 100 personnes dans le coin 😮 Rien que ca ! Par chance il n’y aura qu’une autre cordée avec nous dans notre voie et par chance (une deuxième fois !) ce sont des connaissances ! On va pouvoir tailler la bavette pendant un petit bout de chemin.

Notre programme du lendemain : Le Linceul, une énorme pente de neige à l’extrême gauche de la face qui se termine par 200m d’arête pour atteindre le saint Graal auréolé le sommet de la pointe Walker (4208m).

Départ

Samedi 1h du matin, nous voilà en train de remonter le glacier. Certains sont déjà partis depuis une heure et le glacier, jusqu’à la base de la muraille, fourmille de lumières de frontales. Les premiers pour la voie Colton McIntyre sont déjà à la rimaye. La nuit fût très – trop?- courte (3h de sommeil) et Jean n’est pas dans son assiette : il a un petit coup de « chais-pas-s’ke-j’ai » sûrement un cumul d’ appréhension + fatigue +doutes. Je lui propose de continuer tranquillou et que « au cas où », s’il voulait faire demi tour, je pourrais certainement me greffer avec l’autre cordée.

Nous voila au pied de la rimaye. Brrrr … elle est énorme, comme la gueule béante d’une bête prête à te bouffer en un seul morceau. En son centre un pont de neige permet de la traverser et d’attaquer la lèvre supérieure. Check motivation et check matos avec Jean. Dès que l’on franchira cet abîme, la retraite ne fera plus partie des options envisageables. 3h30 du matin, premier coup de piolet. Et c’est Darty mon kiki pour 800 mètres ! 

Dans la pente de neige

Une fois la rimaye passée on effectue une traversée sur la droite pour se recentrer dans l’axe du couloir. C’est de la neige quick, ça progresse bien mais c’est du 100% solo. Règle n°1 : chute interdite. Y’a pas besoin de règle n°2 si tu faillis à la première … ambiance ambiance …. 30 m en dessous de nous, les frontales éclairent de temps en temps les sombres abysses de la rimaye … $£!@# mais qu’est ce qu’on fout là …
Une fois dans l’axe du couloir, je reprends l’ascension, Jean sur mes talons. Il n’y a pas de glace, juste de la neige dure dans des pentes à 80/85°. Les réflexes et la rythmique inlassables des piolets-crampons s’installent … maintenant c’est direction l’arête !

On avance maintenant régulièrement dans l’énorme pente neigeuse. On a trouvé le bon rythme en corde tendue (avec 8 broches à glace) pour économiser le matos et tirer des maxi longueurs. Ça broche pas trop trop mal (tout est relatif) mais nous savons pertinemment qu’une grosse zipette pourrait tout embarquer. Les mollets commencent à bien cramer et les pointes de pieds tapent au fond des chaussures. Cher lecteur, imagine toi passer 10 heures en appui sur tes pointes de pied … et ben, tout de suite, tu ferais moins le malin !
Nous nous retrouvons finalement 100 m sous l’arête avec une bonne traversée en glace degueu. la glace est dure, cassante et part en assiette et c’est bibi qui doit se coller le passage en tête. Bon … si c’est pas là la sortie.

De l’arête au sommet

Une heure plus tard (10h) je débouche sur l’arête … au soleil (oui, on était dans une face nord donc tout le temps à l’ombre, dans le froid 😉 … et d’ici on aperçoit les corniches de la pointe Walker. J’assure Jean super sec pour qu’il me rejoigne vite. Quand il me rejoint, petit moment d’euphorie car on sait « que c’est gagné » ou presque. Le couloir Est est en super condition et on aura pas à se taper l’arête « pile d’assiettes en équilibre » pour rejoindre le sommet.
Jean repart en tête et vu la vitesse a laquelle la corde défile, il est cramé. L’acclimatation doit jouer car on a déjà dépassé la cote 4000 (Sommet à 4200). Grimper dans le couloir au soleil est un bonheur, les pieds s’enfoncent dans la neige profonde faisant de vraies marches … Rhaaaaaa … Finis les mollets qui chauffent et les ongles de pieds qui tabassent le fond des chaussures.

A un moment la corde est avalée beaucoup plus vite … une seule pensée traverse mon esprit, Jean est au sommet. Hahaha ca y est …. J’accélère alors pour le rejoindre. Une petite traversée sur une arête effilée plus loin je retrouve Jean sur le sommet enneigé … et puis rien ! Pas de larmes de joies, pas de hurlements viriles, pas de démonstration débordante de joie … juste la petite poignée de main et la connivence silencieuse de la cordée ! Rien de ce qu’on avait rêvé arrive … juste une douce euphorie sur un sommet silencieux baigné de lumière. Un moment serein sur un sommet rêvé par des générations d’alpinistes …
La face nord des Grandes Jorasses, we did it !

On prendra ensuite le temps de boire, manger, prendre des photos, appeler Mesdames, faire baver les potes, profiter du paysage toussa toussa pour glander une heure au sommet.

Descente et conclusion

Ensuite ce fut la descente par la voie normale coté italien. 5h de désescalade hasardeuse, de remontée, de cavalcades sous des séracs menaçants, de rappels … et une petite chute, sans conséquences, dans une rimaye pour ma pomme … Par chance on lambinera pas trop au bord de la route avant d’être pris en stop pour rejoindre Chamonix par le tunnel pour arriver à notre voiture à 18h30. Ouf !

Bon, faut pas se leurrer en ce moment les Grandes Jorasses c’est « the place to be ». Ou du moins « the place ou c’est blindé de monde ». Sommet d’exception par une face d’exception. Par contre la descente est juste interminable, c’est long et ça finit complètement d’abîmer les pieds ! Même s’il y a eu du monde, que les conditions étaient bonnes (voir exceptionnelles) et que le Linceul est le ticket d’entrée de cette face (ça m’aidera à rester humble et modeste.), ça reste une course engagée avec une retraite très très difficile. Faut être sûr de son partenaire, de soi et de ses propres capacités pour mener à bien la course. Il faut aussi avoir la caisse pour ne pas arriver complètement cramé au sommet et rester lucide sur le long – et dangereux – chemin de descente.

Crédits photos : Guido Riemenschneider (Vue globale du Linceul) et Martin Helias (Cordées dans le Linceul)

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4 Responses to Face Nord des Grandes Jorasses : Le Linceul

  1. jeanf says:

    Excellent……… Veinard va! 😉

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  2. Ovidiu says:

    sacrés veinards !

    Répondre
  3. platon gilbert says:

    Ma-gni-fique!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    Répondre

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